Aix-en-provence - 2016 | Pass ouvrant toutes les portes de l'École Supéreiure d'Art d'Aix-en-Provence. Il fut trouvé dans une pièce tenue secrète et située dans le logement de fonction du gardien. Dans cet espace, qui se revelait être une ancienne salle d'eau, se trouvait un tableau auquel était suspendu l'ensemble des doubles des clés du bâtiment. La serrure de cette salle fut crochetée en mai 2014 et j'ai ainsi pu profiter d'un accès total au batîment, de jour, de nuit et pendant les vacances scolaires durant mes deux dernières années à l'école jusqu'à juin 2016. Ci-dessous : Le tableau des clés - 2016 | Image extraite de mon mémoire de recherche intitulé "Pour un cambriolage amoureux".
Marseille - 2022 | Rambarde bleue rouillée, sur fond de nuit marseillaise.
Bologne - 2024 | Mur ayant succité mon intéret pour les asperités qu'il contenait. Plus profondes qu'a l'accoutumé elles se révèlent ici plus sombres ou selon les cas reflétant le fond des trous de manière lumineuse. Tiphaine et Celeste marchent à quelques mètres devant et je les vois qui m'attendent comme on attend un chien qui renifle passionnément un bout de reverbere.
Catalogne - 2020 | Rubans jaunes noués le long d'une barrière. Le ruban jaune est un symbole pour signifier la défense de la liberté des prisonniers politiques en Catalogne.
Berlin - 2018 |
Marseille - 2019 | Mur d'une cellule de prison située au Château d'If et comportant une sédimentation de messages gravés allant du premier prisonnier au dernier des touristes.
Tolède - 2023 | Platane de nuit, de haut en bas puis présenté à l'horizontale.
Marseille - 2024 | Superposition de graffitis sur le rideau métallique d'un petit commerce.
Toulouse - 2017 | Stickers mural horizon (immobile ?) sans la partie (immobile ?)
Munster - 2014 |
Berlin - 2018 | Plus précisément à Tempelhof, une ancienne piste d’aéroport transformée en un immense parc. Tout était extrêmement plat, ce qui offrait un champ de vision qui pouvait s’éteindre à perte de vue.
Alors que j’étais assis sur un banc, j’aperçus au loin un jeune homme d’une vingtaine d’années qui promenait son chien qui, de mon point de vue, semblait être un Husky. Lorsqu’il arriva à mon niveau je décidai, sans trop savoir pourquoi, de l'interpeller : «Excuse me, can I scan your dog ?». Il me répondit : «scan my dog ?» d’un air interloqué. Je lui expliqua alors en anglais que j’étais artiste, de passage à Berlin et que je travaillais avec un scanner portable. Que c’était comme une sorte de petite photocopieuse de poche et à piles, et qu’il fonctionnait en roulant sur des surfaces. Son regard était fixé sur ce dernier que je tenais dans ma main gauche et dont je fis usage sur mon propre bras. Pour donner à voir son fonctionnement, somme toute rudimentaire et pour que de cette manière il s’aperçoive par lui même que ce n’était ni dangereux ou fastidieux.
Interrompre un ou une inconnu(e) dans le but de plus proposer un geste artistique consistant à lui rouler sur le corps, ou sur celui son chien, n’est pas une chose aisée. Faire irruption dans la vie des gens est un art à part entière. Cela demande des compétences sociales que je qualifierai de millimétrées, au sens où chaque situation est différente et que chaque individu ne réagit pas de la même manière en fonction de sa propre personnalité, du moment et du contexte où cela se produit. Toute personne travaillant dans l’espace public le sait bien, le rapport à l’autre n’est pas une science exacte. Il est une matière vivante en soi qui nécessite une adaptabilité de tous les instants. Ici tout compte, la distance entre les corps ou proxémie, la voix, les mots, les gestes, l’environnement, la météo et peut-être même la position des étoiles. Comptent aussi toutes les expériences sociales précédentes ; ce qui s’est passé la veille, ce qui s’est passé juste avant comme ce vers quoi la personne se dirige. On ne fait pas irruption dans la vie de quelqu’un comme on entre dans un espace. Ici, c’est la douceur et la création d’un climat de confiance réciproque qui font office de porte. Qui plus est quand l’échange souhaité comporte un contact physique, comme cela est le cas dans ma démarche.
L’inconnu au Husky accepta ma demande en me précisant au passage qu’il s’appelait Ayham, qu’il était syrien et que son chien se prénommait Zeus. J’approchai alors ma main du chien et ce dernier recula en nous témoignant une forme de peur. Je décidai naturellement d’arrêter mon geste et demanda à Ayham s’il souhaitait réaliser le geste à ma place. Il acquiesça de la tête mais me fit comprendre juste après qu’il ne savait pas se servir du scanner. La qualité de cette technique est qu’elle ne nécessite pas de technique ou du moins d’apprentissage préalable ou d’initiation longue. Elle est si courte qu’elle tient en une phrase : «Tu appuies sur ce bouton puis tu roules dans la direction que tu veux, comme tu le sens». Cette forme de transmission rapide et quasi ludique contribue grandement au caractère participatif de ma pratique de scanographie. Elle la diffuse et la partage. Dans une forme communicationnelle directe. Comme on tendrait un micro sur le trottoir en disant à son interlocuteur : exprime-toi. Dis ce que tu veux, comme ça te vient. Quant à moi j’aime à collectionner des images que je n’ai pas réalisé moi-même. Je les trouve différentes et je ressens en elles la présence discrète de l’autre, moi qui suis souvent à savoir lesquelles sont réalisées de ma main. Les gestes, les mouvements et les intentions y sont autres. Ils ne sont pas perturbés par la question de la maîtrise, de l’habitude ou du savoir-faire, ils portent en eux la spontanéité d’une première fois liée là aussi à un contexte particulier et en ce qui concerne Ayham et Zeus ; celui d’une caresse.
En effet Ayham pris le scanner et de sa main droite effectua un geste empli de douceur. Zeus de son coté, en toute confiance, accepta sa main et se laissa faire avec une forme de satisfaction qui nous fit sourire tous les deux. Il me rendit le scanner comme on passe un témoin et je le remercia d’avoir joué le jeu tout en lui expliquant que nous venions de réaliser cette œuvre à trois ; moi en tant qu’artiste, ayant transporté cette idée à cet endroit précis du monde, lui Ayham en ayant réalisé le geste de sa main et Zeus qui, s'il avait continué de reculer n’aurait pas permis cette prise de vue particulière. Puis comme à mon habitude je pris son contact dans le but de lui transmettre l’image afin qu’il puisse l’avoir en sa possession et pourquoi pas obtenir un retour d’expérience de sa part. C’est à cette occasion qu’il me fit part du plaisir qu’il avait éprouvé et également que son chien avait participé à un film.
C’est en septembre 2023 que cette histoire pris une autre tournure, j’effectuais alors des recherches sur Ayham pour essayer de trouver le film auquel Zeus avait participé et ma surprise fut grande et pour le moins bouleversante. Il se trouve d’Ayham était un réfugié politique qui, par refus d’être enrôlé de force dans l’armée, avait fui son pays lors de la guerre en Syrie. Il avait dû laisser à Damas sa famille, ses amis et son chien Zeus. Le documentaire relate cette séparation et leurs retrouvailles en 2018, l’année où nous nous sommes croisés eux et moi.
Était-ce cette relation qui m’a inconsciemment interpellé au point de les arrêter dans leur promenade ? Le lien qui semblait les unir ou plus simplement la beauté de ce chien ? Je n’en sais rien et au fond ce n’est peut-être pas cela le plus important.
Certaines images se suffisent à elles-mêmes, d’autres sont de purs prétextes à vivre des choses ou réaliser des gestes. Néanmoins elles sont toutes le réceptacle d’une mémoire, qui quand elle se réactive, me téléporte à un moment et à un endroit précis du monde. J’y retrouve l’odeur de la pelouse, la lumière du soleil couchant et le souvenir précis de cette rencontre. Une archive sensible. Ayham et Zeus.
Buenos Aires - 2017 | Masque découpé dans du scotch bleu. J'ai réalisé ce masque en mars 2017 à Buenos Aires où j'étais alors en résidence à la Ira de Dios ; un centre d'art contemporain situé dans le quartier de Villa Crespo et dirigé par Carolina Magnin et Pablo Caligaris, tous deux artistes et curateurs. Leur programme de résidence internationale commençait toujours par une rencontre publique. Une par artiste avec pour chacun une sélection d'invités (amis, artistes, commissaires, galeristes) et je fut le premier parmi les huit autres artistes engagés dans ce projet à devoir me présenter. Pour être honnête, j'aime beaucoup les présentations, surtout quand comme cette dernière ; elle permet des rencontres multiples et pour certaines mémorables. Ce fut le cas avec un collectif d'artistes sociologues argentins et rien qu'à le dire ça sonne déjà bien. Parmi eux : Diego Melero, Jacinta Racedo, Hernan Melazzi, Lino Divas, Félix Torres, Martin Diese, Guillermo Valoralo, Edgar Zuttion et Marcos Perearnau tous membres ou proches de LA CONU (CONURBANO - Périphérie urbaine). Ils se décrivent comme " un conglomérat culturel qui cherche à devenir un point de rencontre et de création de nouvelles formes d'organisation pour l'échange, la communication, les alliances, les pactes et la création de nouvelles formes de valorisation culturelle. Son objectif est de décentraliser le circuit et de démocratiser la visibilité, afin que l'auto-organisation et le co-gouvernement participatif soient les formes de démocratie culturelle dans le tissu suburbain que nous habitons. La CONU promeut la reconnaissance de l'identité agglomérée et le dessin d'une nouvelle carte des relations culturelles pour favoriser la lutte contre l'isolement périphérique. La CONU lutte pour démocratiser la visibilité, revendication inaliénable des villes périurbaines. Nous comprenons les banlieues comme un processus historique, social, économique, environnemental, culturel et politique. En partant de sa composante esthétique, nous entendons réfléchir et intervenir dans sa configuration et sa conformation. Notre identité culturelle, sociale et territoriale est agglomérée. Nous pensons que sa reconnaissance peut activer des actions qui contribuent à la décentralisation actuelle des flux culturels dans un circuit central du Capital. Une centralité qui favorise la concentration économique, structurelle et culturelle - interrompant ainsi les dynamiques et autres formes de circulation périurbaine. "
Aix-en-provence - 2017 | Comptoir du bar de l'espace Seconde nature. Geste réalisé en courant le long du bar pour gagner une certaine fluidité de mouvement.
Marseille - 2019 | J’étais en train de réaliser l’accrochage d’une de mes expositions et la large vitrine donnant sur la rue faisait en sorte que tout l’espace était baigné de soleil. Agenouillé au sol et concentré, je déballais soigneusement des tirages imprimés pour l’occasion lorsqu’une une ombre vient se poser sur moi. Il se tenait là sur le trottoir, devant la vitrine. À contre jour, droit dans ses pompes, grand, les épaules carrées. Il tenait dans sa main un seau qui contenait des chiffons et des outils dont je n’arrivais pas à déterminer la nature. Il commença à asperger la surface vitrée de liquide ce qui me fit comprendre immédiatement sa présence ; c’était le laveur de vitres. La taille de la vitrine me laissa le temps nécessaire pour saisir mon scanner, ce dernier étant toujours à portée de main, et de venir rapidement me positionner face à lui. La philosophie antique décrit trois types de temps ; le Chronos connu pour être le temps linéaire ou continu, l’Aiôn représentant le temps cyclique et le Kairos celui du temps opportun. Ce que nous appelons notre vie, la recherche artistique et tant d’autres choses ; oscillent entre ces trois. En somme, quand le Kairos se manifeste : il faut le saisir.
Il attrapa sa raclette à vitres et dans un même temps nous positionnions nos deux outils face à face, au travers du verre qui nous sépare et nous unit, en même temps. J’avais déjà suivi du regards plusieurs laveurs de vitres, en mettant en parallèle aux miennes ; leurs manières de se déplacer sur des surfaces. Pour ce qui était de pouvoir être de l’autre de côté de la vitre cela relevait, jusqu’à présent, du fantasme car aucune occasion ne s’était présentée jusqu’alors. Le moment était venu et j’étais prêt à le vivre dans toute sa complétude. Au travers de ce support commun, je suivais et numérisais chacun de ses mouvements dans une sorte de chorégraphie synchronisée. Tout comme le mien ; son geste était certain, précis, maîtrisé. Le genre de ceux qui ont l'habitude. Lui et moi étions capable de faire ce que nous avions à faire, tout en se regardant mutuellement. J’avais du mal à deviner ce qu’il se disait à ce moment précis mais je discernais dans ses yeux une forme d’amusement mêlée à ce qui s’apparentait à une incompréhension sereine. Une fois le verre redevenu transparent il passa sa tête par l’entrebâillement de la porte et me dit : « c’était quoi ça ? ».
S’en suivi une longue discussion qui passa par l’explication de ma démarche jusqu’au questionnement commun de la conscience de la dimension précise de son outil de travail. Il n’avait pas tort de parler de cela en évoquant que parce qu’il savait que sa raclette faisait trente-cinq centimètres ; il ne touchait jamais les cadres des fenêtres ou les rebords des vitrines. Que cette mesure précise était gravée en lui et que par effet miroir celle du scanner était gravée en moi. Cela dans nos yeux, comme dans les mouvements de nos mains et de nos bras. Ce qui nous emmena à parler du travail, à la répétition des gestes, d’à quel point cela nous transforme et comment notre corps s’adapte à l’usage que nous en faisons. Il me confia également qu’il fabriquait ses propres outils en découpant des raclettes aux dimensions des vitres qu’il avait l’habitude de rencontrer. Venait ensuite le moment où je lui proposai de regarder l’image produite sur l’écran de mon téléphone, en effet le scanner portable que j’utilise enregistre les documents qu’il produit sur une carte micro sd et celle-ci peut très rapidement être introduite dans mon téléphone afin de pouvoir en observer le contenu. Dans bien des occasions, cela m’offre la possibilité d’avoir un aperçu de mes recherches sans avoir à attendre d’être rentré, mais cela me permets aussi de devenir mon propre dispositif d’exposition mobile. Qu’importe où je me trouve, sur un bout de trottoir, en pleine forêt, chez quelqu’un ou au milieu de l’exposition d’un ou d’une autre artiste. L’on termina notre échange en parlant de dessin et de peinture en s’accordant que le caractère temporaire d’une goutte d’eau mêlée à du savon en suspension sur une vitre n’avait rien a envier à de la peinture à l’huile solidement accrochée sur une toile de lin. Que ce soit pour sa pratique, pour la mienne ou celle d’un peintre elles me semblent intimement reliée comme étant : l’enregistrement de quelque chose, d’une forme, d’un tracé, d’une idée ou d’un sentiment, au moyen d’un geste inscrit dans le temps, qu’il soit court ou long au travers d’un espace ou d’une matière. Au revoir Serge.
Je me relève > Intranquille > Je marche et parfois glisse > Sur des surfaces, sur des matières > Je m'aventure dans l'urgence > Sur des personnes, sur des espaces > Souvent je roule, parfois déroule > Et je rêve que je cours, presque > J'ouvre, j'entre et je dis bonjour, toujours > Je passe mon temps à vaguer > À me mouvoir > Sur une toile sans fin > Presque abstraite, réticulaire > Allant du blanc au noir en passant par tout le reste > Autant de lignes, que de chemins > Une somme de croisements > Plus j'avance, plus je me projette dans d'autres formes > Dans d'autres détails, d'autres histoires > Alors je m'approche, je frôle, je touche > Et viens me coller contre, généreusement > Je cherche à comprendre, tout comme je cherche à appréhender, à saisir > Aimer et contenir > Par les mains, par les mots > Avec instinct je prends appui > Et avec mon corps, je me positionne et fais appel > Parfois bien, parfois mal > Tout cela est un rééquilibrage permanent > Une constance absurde, une somme de choix > Que tu pointes, que je tire > Plante, fuis, suspends, coupe et filme > Je me livre au hasard > J'extrais, je rassemble, je collecte et je soustrais > Je poursuis des lignes, je collectionne des pixels et je rassemble des distances > Je me mesure au monde et au temps > Droit dans mes yeux et de travers dans ma démarche > Qui est une enquête quotidienne > Socio-poétique > Complexe et sans fin > Protagoniste et narrateur > Je recherche des couleurs, des lumières, des formes témoins de mon chemin > À travers lesquelles je suis des directions > À l'intérieur et autour > Murs, sols et plafonds, sans distinction > Je suis le flux et je suis le filtre > Je stocke plus que je ne peux et je déborde > Ensuite je me recompte, je compare, je recoupe et je détaille > Je poursuis des analogies pour mieux comprendre mes différences > J'établis de longs questionnaires > Et je construis des pièges > Des compagnons de voyage, des fatigues et des outils > De toute espèce > Pour cela je me déplace, passe et déplace > Je ne cesse de me travailler, de m'étendre > Avec cette machine vissée dans la main > Car c'est elle qui prolonge mon envergure > À travers ces excroissances, ces poids > Que je garde, que jamais ne jette mais parfois oublie > Ensuite je reviens et je me souviens > Je rassemble, je fais le tri, je me débats et fait débattre > Je me disperse pour mieux nous rejoindre > Autrement, je veux ressentir à l'infini > Chercher des autres et leur soumettre l'imprévisible > Car nous n’avons de limites que nos possibles